lundi 23 juin 2014

LA MORT D’UNE MORT ONTOLOGIQUE


« Les mystères de l’invisible ne sont pas en contradiction avec la nature, ils ne sont en contradiction qu’avec ce que nous savons d’elle.» (Disait Saint Augustin). Rationnellement l’on ne cesse pas de faire preuve de l’existence ontologique de l’Etre, et cela est évident car il s’agit d’un être qui fait cette preuve d’existence. Cet Etre ontologiquement existant est, et hors de lui n’est pas, si non l’Etre serait limité s’il avait le néant hors de lui.
           
          L’Etre est et ce qu’il est, est partout sans qu’il se meuve. Il ne meurt pas puisqu’il ne vit pas mais il est, et ce qu’il est existe. Certainement, son existence ne dépend pas de la vie car il n’a pas besoin de vivre pour exister. Son phénomène comme existant est dans l’existant et son existence ne dépend pas de ce dernier puisque l’Etre est lui-même l’existence qui fait que les êtres existent et ce même Etre fait évidement que les êtres soient.  Dans le sens cartésien, il est certain que j’existe comme un être vivant qui pense, et parce que je suis un être qui a besoin d’une vie pour vivre, sans le souhaiter ni le savoir, cela fait de moi un être incomplet et imparfait. Pourtant, Dieu existe comme un être  pleinement parfait. Donc, il ne vit pas puisqu’il n’a pas besoin de la vie pour être ce qu’il est, ni de rien pour exister.
            
        Nous pouvons ici, nous poser la question de savoir si la mort existe. D’entre de jeu, nous pouvons dire oui, parce que l’on voit ses phénomènes à travers les êtres vivants qui s’en vont, et en plus, elle nous a pris - soit disant- les membres de famille, les voisins, etc. Par contre, si nous-mêmes nous nous posons la question de comment elle nous est apparu, chacun décrira son phénomène à lui, ce qu’il vit, et même ceux qui ont vécu la même scène du mourant vont la décrire de manière différente chacun selon la conception qu’il a d’elle et selon ce qu’il entend d’elle. Par ailleurs, il ne suffit pas de vivre toutes ces expériences pour savoir que nous sommes les êtres vivants et finis.

        En effet, l’existence de la mort, dépend de celle du vivant et celle du vivant dépend de la non-existence de la mort. Donc si j’existe, c’est que la mort n’existe pas. Par contre Chabanis affirme dans son œuvre la mort un terme ou un commencement, que nous ne devrions pas être menacés par la mort, parce que, la mort et la vie forment un couple indissociable.[1] Je peux bien concevoir une grosse pierre ici à côté et un rocher là sur la colline parce que je les conçois dans leurs postures.  Egalement, je crois sans être un Angélologue que les Anges existent à part. L’ange et la pierre existent hors de moi mais puisqu’ils ne vivent pas ils ne peuvent pas mourir car mourir suppose vivre. Ainsi, je ne peux pas concevoir l’existence de la mort, parce qu’elle ne vit pas, mais tout simplement, parce que je vis en tant qu’être vivant, ma vie fait exister la mort qui ne peut exister que par ma vie en tant qu’être mortel. Donc, c’est de la vie que naisse la mort et l’inverse fait que la mort donne un sens à la vie ; ce qui veut dire que sans la mort la vie n’a aucun sens.

      « Ceux pour qui la mort n’a pas de sens [dit Chabanis], la vie non plus n’a pas de sens. Mais réciproquement, du sens que l’on donne à la vie dépend le sens que l’on donne à la mort. La mort est même l’épreuve de tout sens. Devant elle, l’homme est sommé de dire pourquoi il vit, et même de se demander si son existence est vie »[2]. Ces phrases de Chabanis, peuvent nous aider à vivre tout en nous aidant à mourir bien, car, m’abandonner à la vie signifie me laisser aller vers la mort. Cette dernière est la seule indispensable pour tout le monde. L’on peut vivre milliardaire à côté d’un misérable, mais la justice de la mort, sans offenser personne, nous rendra égaux. Oui, je peux faire semblant de vivre par le vivotage mais ne jamais le faire pour mourir. Mourir c’est mourir puis que la mort seule peut définir  ce qu’elle est exactement, mais cela ne nous laisse pas indifférent pour ne pas faire nos suppositions.


La mort, une entité impersonnelle

            La mort est la mort. E. Levinas cherchant comment dire ce qu’est la mort, dit tout simplement qu’elle est le plus inconnu des inconnus. « Je ne dis pas [dit-il] qu’elle est néant. Elle est aussi la "plénitude" de la question, mais d’abord, "On ne sait pas" ce sont les premiers mots qui viennent, et qui conviennent. »[3] Pour lui donc, elle est un dilemme entre l’être et le ne pas être. Spinoza quant à lui, déclare que, les philosophes ne doivent penser à rien de moins qu’à la mort. Tandis que Heidegger, trouve que même penser la mort fait appel à la possibilité de l’impossibilité[4]

            En fait, la mort n’est pas un animal féroce à craindre, elle n’est pas une arme aux mains d’un assassin. La mort n’est pas un ennemi à fuir ni un animal à abattre, elle n’est pas un cadavre comme nous le pensons, la mort est tout simplement la mort. Elle n’est pas hors des vivants non plus, on ne peut pas affirmer qu’elle est à l’intérieur de nous-mêmes, mais sa négation et même son anéantissement, reviennent aux sens de notre vie. La mort n’est pas une expérience que je peux vivre moi-même parce que celui même qui se lance dans cette aventure arrête toute sa communication avec les autres alors que c’est seulement sur lui que je peux appréhender la mort et son a priori.

            La mort n’est rien, elle est tout simplement un petit départ pour un autre monde. Elle est une disparation de celui qui nous dit ses derniers mots qui font retentir « un adieu mes amis » dans nos entrailles. La mort est si simple qu’on ne peut la concevoir : c’est une séparation entre moi et l’autre qui n’évoque plus aucun échange ni communication avec moi. Ce qui nous menace devant la mort, c’est donc l’autre qui nous manquera, que nous ne verrons plus jamais sur notre terre des vivants.

            Nous mourons chaque fois d’une mort partielle pendant le sommeil, mais parce que nous savons que le matin ou quand nous nous réveillerons nous allons nous voir encore, cela ne nous fait rien. Mais qui peut me décrire avec qui, il est pendant qu’il dort ou avec qui il dort en sommeil lui-même ? N’est ce pas que l’on est seul ? Telle est donc la mort sans menace.

            La mort peut être comparée à un voyage dans un pays lointain où l’on part sans savoir si l’on va se revoir. Suppose que tu sois avec un ami à toi, qui doit faire son voyage dans un autre pays lointain que tu ne connais même pas. Tu dois accompagner ton ami depuis ton village jusqu’à la route toute plate à l’horizon où il doit continuer seul son voyage.  Arrivé à l’endroit prévu tu lui dis que tu dois rentrer à la maison et tu lui souhaite un bon voyage, mais tu ne quittes pas directement parce que tu l’aimes beaucoup. Tu te tiens là  en regardant comment il s’en va jusqu'à l’horizon de ton regard. Quand il disparaît de l’horizon de ton regard, ne diras-tu pas qu’il est parti ou qu’il a disparu ? Certainement, il a disparu et il est parti tu ne le vois plus, ton regard l’a accompagné jusqu’à sa disparition. Suppose donc pour l’instant que de l’autre côté-là à l’horizon il y a une famille qui l’attende. Cette famille ne verra-t-elle pas ton ami en train de venir de l’horizon vers elle ? Elle ne va-t-elle pas s’exclamer de joie de le voir apparaître chez elle ? Telle est donc le sens de la mort comme une séparation de l’âme et de la matière (corps) où l’âme doit rejoindre son immortalité avec les immortels.  

            En définitive, nous pouvons dire avec Chabanis dans son admirable œuvre citée ci-haut que  « la mort est après tout une excellente opération, qui met bon ordre à ce grouillement de sottise, de vanité et bassesse qu’est la termitière humaine. »[5] Nous vous souhaitons donc la bienvenue à vous qui êtes embarqués comme nous dans ce voyage tout en sachant que nous devons traverser le pont pour aller de l’autre côté de la rivière où le Seigneur nous attend.   


                                                                                      E. Sylvestre Nzigiyimana, msscc.




[1] Christian CHABANIS, La mort un terme ou un commencement, Ed. Fayard, Paris, 1982, p. 14.
[2] Ibidem. p. 15
[3] Ibidem. p.342.
[4] Ibidem. p.343
[5] Ibidem. p.21